michelCapronCet article a été publié par notre ami Michel sous forme de carte blanche dans le journal « Le Soir » du 1er février 2013 – c’est une excellente synthèse de la problématique actuelle de la sidérurgie wallonne

Michel Capron économiste retraité de la FOPES-UCL

Au vu des événements dramatiques qui ont, une nouvelle fois, affecté ces derniers jours le destin de 1300 sidérurgistes, de leurs familles, des fournisseurs et sous-traitants d’ArcelorMittal (AM)-Liège et des émotions fortes qu’ils ont initiées, il a paru utile de tenter une approche plus à distance de la complexité de la situation de la sidérurgie en Wallonie, essentiellement à Liège. Ne pouvant envisager ici par manque de place une analyse critique des motivations du groupe AM produits plats en Europe depuis 2009, ni le recours possible aux instances européennes pour contrer AM, je me limiterai donc à considérer les ripostes possibles en Wallonie par rapport à la stratégie d’AM et les éléments d’avenir qui y existent.

Soyons précis

Pour bien saisir l’intention de fermeture définitive que déclare AM pour Liège, analysons son communiqué de presse du 24 janvier 2013. Les arrêts définitifs touchent 5 lignes de la phase à froid jugées « non stratégiques » le 12 juillet 2012 : une filière de laminage à froid (Tilleur), les Galva IV et V (Flémalle), les lignes HP3 et 4 (Marchin). S’y ajoutent les deux outils restants de la phase à chaud : le laminoir à chaud à larges bandes de Chertal et la cokerie d’Ougrée. AM continue l’exploitation des 5 lignes « stratégiques » de la phase à froid (soit 800 emplois). Dans pas mal d’articles et de déclarations phases à froid et à chaud ont été allègrement mélangées.

Il convient, par ailleurs, s’entendre sur le sens des revendications émises, très légitimement, par les organisations syndicales des métallos liégeois. Un exemple : la « nationalisation ». Rappelons qu’à la fin des années ‘70 et au début des années ‘80 la prise de participations publiques, la fusion Cockerill Sambre (CS) et la mise en œuvre du Plan Gandois [1] ont provoqué de virulentes querelles communautaires : la CSC flamande, appuyée significativement par le CVP et les autres partis flamands, a lancé : « Plus un sou d’argent flamand pour l’acier wallon ! ». Croit-on sérieusement que le gouvernement fédéral actuel risquerait de reprendre ce brûlot ? Il faudrait aussi retracer l’historique de la « régionalisation » [2] . En 2002, Usinor fusionne avec Arcelor, groupe lui-même absorbé en 2006 suite à l’OPA de Mittal pour former ArcelorMittal. Au final, en 2013, la Région wallonne ne dispose plus que de 0,7% du capital d’AM, d’où un potentiel de négociation particulièrement faible. Ajoutons deux éléments. Au plan fédéral, le jeu d’AM – parfaitement légal – avec les intérêts notionnels a permis, selon les calculs du PTB, à sa filiale banque interne AM Finance Belgium de déduire en 2011 1,597 milliard d’euros pour un ISOC de 0 euro…Mais dès octobre 2012, la filiale bancaire retire quelque 35 milliards d’euros de notre pays pour un transfert vers Luxembourg ou Londres. Enfin, au niveau régional, AM intente une procédure judiciaire contre la Région pour refus d’octroi de quotas CO2 pour 2012.

Le « mur » d’ArcelorMittal

Depuis octobre 2011, AM répète que son intention de fermer définitivement la phase à chaud à Liège n’inclut nullement sa cession à qui que ce soit [3] . De quelles armes dispose alors le gouvernement wallon pour dynamiter ce « mur » d’AM ? Une participation minime au capital, la non-attribution de quotas CO2 (dont AM peut se passer sauf pour les lignes stratégiques du froid à Liège et Industeel), les frais de dépollution de la phase à chaud (auxquels AM a dit consentir), une promesse de 138 millions d’euros d’investissements dans les lignes à froid stratégiques et l’énergie, dont 60 millions directement pour la ligne de revêtement sous vide à Kessales. A condition que les syndicats signent d’abord le plan social (le plan complémentaire pour les 314 prépensionnés de la 1ère procédure Renault), ce que les syndicats refusent faute d’obtenir un plan industriel au-delà des 138 millions d’euros. L’actualité proche a occulté ce blocage. A la Région de trouver le consultant et la banque d’affaires capables de dénicher un repreneur industriel pouvant proposer une offre qu’AM pourrait accepter… Ce repreneur devrait être intéressé à reprendre, dans le marasme actuel, des activités qui ne peuvent, à court et moyen terme, qu’induire des pertes [4] . En outre, il faut une nouvelle société commerciale pour restaurer le réseau de la phase à froid, mais aussi obtenir une garantie d’avenir financier pour le centre de recherche CRM Group, au Sart-Tilman, en partie financé par AM. Restent les procédures judiciaires à l’issue sans doute très tardives, raison pour laquelle le plan syndical de juin 2012 estime peu utilisable la voie juridique, même devant les instances européennes. Enfin, les moyens financiers de la Région s’avèrent nettement insuffisants pour appuyer ses démarches de manière crédible, d’autant que la Commission Européenne peut qualifier leur apport d’aides publiques et les refuser. Il reste cependant des pistes d’avenir.

Un avenir sidérurgique en Wallonie

D’aucuns estiment que la sidérurgie a fait son temps, n’est plus structurante et qu’il faut en finir rapidement : une vision fausse. Plusieurs secteurs industriels (fabrications métalliques et mécaniques notamment) ont besoin de cet acier, s’approvisionner hors Wallonie pourrait leur coûter fort cher. La sidérurgie produisant des aciers d’avenir (à Liège les tôles fines et revêtues pour l’automobile, le revêtement sous vide d’Arceo, chez AM Industeel et NLMK des tôles fortes) de très haute technologie pour des marchés spécifiques (les « niches ») confère à ces sociétés des avantages par rapport aux sidérurgies émergentes [5] . L’avenir de ces produits sophistiqués est réel mais conditionné à la reprise conjoncturelle et aux modalités de l’approvisionnement : le transport de brames et/ou de bobines laminées à chaud à partir d’AM Dunkerque vers la phase à froid de Liège a donné lieu à moult problèmes (retards, qualité d’acier etc.) susceptibles de fragiliser la qualité des produits laminés à froid et revêtus.

Il aurait fallu traiter ici de la solution « par le haut », via les pressions sur les instances européennes (Commission, ministres de l’industrie des pays où AM détient des filiales etc., règles de conduite strictes et assorties de sanctions pour recadrer des multinationales style AM). Le syndicat européen IndustriAll commence à exercer des pressions au niveau de l’UE. Il faudrait y consacrer un article spécifique, tout comme à la stratégie européenne et mondiale d’AM. Les braises d’une certaine pérennité existent pour la sidérurgie en Wallonie : aux responsables politiques et syndicaux de les activer correctement pour que le « grand feu » sidérurgique puisse y continuer à y briller.

31 janvier 2013.